Le livre est désormais disponible sur Amazon et sur le blog
Depuis le début de ce dossier, nous avons étudié les concepts de collection et de collectionneur, puis nous nous sommes intéressés au jeu vidéo, à son Histoire, à ses récentes évolutions, et à la place qu’il occupe dans notre culture.
Au cours des prochains articles, nous allons entrer un peu plus dans le vif du sujet de ce dossier et nous intéresser au marché de la collection de jeux vidéo.
Nous parlerons tout d’abord des premiers concernés : les collectionneurs de jeux vidéo. Nous chercherons à savoir quand et comment ils sont apparus et quels sont leurs différents profils.
Naissance du collectionneur de jeux vidéo
Le collectionneur de jeux vidéo est apparu il y a peu, ou en tout cas il s’est “officialisé” il n’y a que quelques années. Il s’est en fait révélé avec Internet.
En effet, si les premiers collectionneurs de jeux vidéo sont apparus il y a dix ou quinze ans tout au plus, ils sont entrés en concurrence il y a à peine six ou sept ans, sur internet. Ils ont commencé à se confronter sur certaines pièces, et les prix ont augmenté. Je ne parle pas d’une augmentation liée à celle du coût de la vie, mais bien de hausses de l’ordre de plus de 500% et parfois plus, en seulement quelques années sur certaines pièces.
Je ne pense pas qu’il y ait d’autres domaines de collection comparables, et dans lesquels nous pouvons observer de telles augmentations ces dernières années. Cette hausse des prix des jeux vidéo de collection n’est pas pour rien dans l’essor de nouveaux collectionneurs de jeux vidéo. Le fait que certains jeux puissent se vendre plusieurs centaines d’euros, intrigue, et parfois fascine ; c’est un comportement psychologique humain, et comme nous l’avons vu, il n’y a pas de sujet plus psychologique que le collectionneur.
Mais au delà de cette considération, il y a plusieurs phénomènes liés au vécu du joueur, qui le conditionnent à devenir collectionneur de jeux vidéo. En effet, il est une chose commune à tous les collectionneurs de jeux vidéo : ils sont tous (ou ont tous été) des joueurs.
La frustration d’avoir eu peu de jeux
Le prix des jeux vidéo ne semble pas indexé sur l’inflation monétaire. En moyenne, un jeu a toujours coûté 400 francs/60 euros. Les jeux vidéo ont toujours été chers, mais de fait ils l’étaient encore plus il y a vingt ans.
Le prix élevé des jeux vidéo en faisait des acquisitions occasionnelles : dans la majorité des foyers, le joueur avait un jeu pour son anniversaire ou pour Noël. Pourtant, de très nombreux titres attisaient la convoitise du joueur. Pour palier à ce manque de jeux, il était obligé d’aller jouer chez le copain qui avait tel ou tel titre ; il devait échanger ou prêter ses jeux à ses amis pour élargir son panel de jeux testés.
Aujourd’hui, de nombreux collectionneurs cherchent à combler cette frustration, ils se font plaisir et se constituent la ludothèque qu’ils auraient voulu avoir dans leur jeunesse.
Tout collectionneur de jeux vidéo a été joueur, et sa vie de joueur, de par son intérêt plus ou moins important pour les jeux vidéo, et de par certains phénomènes externes, va contribuer à faire de lui un collectionneur.
Le regret d’avoir vendu ses jeux
Les discussions des cours de récréation autour des dernières consoles et des derniers jeux évoluaient très vite, et, n’ayant d’autres solutions pour convaincre les parents d’acheter la dernière console, le joueur allait commettre ce que aujourd’hui beaucoup de collectionneurs cherchent à réparer : il allait revendre systématiquement ses jeux et consoles pour en acheter de nouveaux.
Le joueur a toujours vendu sa console et ses jeux pour acheter la machine de la génération suivante ou s’offrir de nouveaux jeux. Nous en parlions justement dans les commentaires d’un autre article de ce dossier. De très nombreux joueurs pourront confirmer : qui n’a pas revendu ses jeux pour en acheter d’autres ? Ils sont très peu. Implicitement, le jeu arrivait “à la maison” avec plusieurs durées de vie : celle du programme (temps passé pour finir le jeu), et celle de la console qui prédestinait le jeu à “repartir” un jour (à la différence d’une BD, d’une VHS ou d’une figurine).
Ce processus, qui obligeait le joueur à se séparer de ses jeux, va créer une sorte de traumatisme dans l’inconscient collectif des premières générations de joueurs, et va jouer un rôle non négligeable dans l’apparition des collectionneurs : aujourd’hui, ils sont nombreux à vouloir récupérer “leurs” jeux, ceux qu’ils avaient dans leur enfance, qu’on leur a racheté pour une “bouchée de pain”…
Si il était prévisible dés le départ qu’un jour il y aurait des collectionneurs de jeux vidéo, cela a tout de même pris un certain temps et n’est devenu une vérité que dans les années 2000. Il faut prendre en compte plusieurs phénomènes pour expliquer ces 25 ans d’écart entre la naissance de l’Atari 2600 et l’arrivée des premiers collectionneurs, ou du moins d’un début de marché de la collection.
Il faudra attendre que le joueur soit assez mature pour ressentir les effets du traumatisme de n’avoir plus aucun de ses jeux, car l’abondance du marché va entretenir la frénésie du joueur pendant de longues années.
L’abondance du marché
Du fait de son obsolescence technologique très rapide, et du schéma d’achat-revente que reproduisaient presque tous les joueurs, un jeu vidéo perd énormément de sa valeur dés qu’une nouvelle génération de consoles arrive sur le marché.
Dans les années 90-2000, le marché était si florissant que de nouveaux acteurs (ou devrais-je dire géants) comme SONY ou MICROSOFT se sont invités sur le marché des consoles de jeux vidéo, démultipliant encore l’offre. Ce qu’il faut comprendre, c’est que le marché évoluait si vite, l’offre était si abondante, tant en terme de nouveautés qu’en terme d’occasions disponibles, qu’avant de penser à collectionner, le joueur pensait à jouer ; et il ne pouvait pas jouer à tout.
Cette disponibilité massive a retardé les premiers sursauts d’intérêt du collectionneur. Même si très tôt, certains jeux étaient édités en version collector, le jeu vidéo à mit très longtemps à être assimilé à un objet de collection potentiel, alors qu’il en réunissait pourtant tous les critères.
Ceux qui avaient compris l’importance de se constituer une solide ludothèque de classiques étaient rares, mais bientôt ils seraient de plus en plus nombreux. D’autres allaient même voir le jeu vidéo au delà du jeu, et commencer à réunir les jeux pour les pièces de collection qu’ils sont (ou qu’ils peuvent être), et non plus pour les programmes qu’ils sont.
Tout repose encore sur la magie de cet objet qu’est le jeu vidéo et l’emprunte qu’il a laissé dans les mémoires des enfants devenus adultes. Aujourd’hui, on aimerait retrouver le Super Mario Bros 3 et sa boîte jaune dans lequel pour la première fois Mario pouvait voler. On aimerait rejouer à Secret of Mana, on aimerait déplier à nouveau la carte du premier Zelda qu’on avait complétée au crayon de papier il y a plus de 20 ans.
L’étincelle du collectionneur de jeux vidéo naît à ce moment là : lorsqu’il cherche à retrouver quelque chose de son passé. Le regret d’avoir revendu ses jeux joue ici un rôle primordial car il accentue la nostalgie du joueur, et le propulse sur la première marche qui peut faire de lui un collectionneur : il va chercher à récupérer certaines consoles et certains des jeux qu’il avait. Aujourd’hui trentenaires et disposant d’un pouvoir d’achat, le joueur devenu adulte est prêt à mettre le prix.
La nostalgie des “vieux” jeux, la frustration de n’avoir eu que peu des jeux qu’on aurait voulu, le regret d’avoir revendu ses jeux, sont le terreau du collectionneur de jeux vidéo.
Nous allons maintenant observer les différents profils de collectionneurs de jeux vidéo.
Pour aller plus loin
Cet article a servi à l’écriture du livre « Retrogaming : Comment les jeux vidéo sont devenus des objets de collection ».
“Regret”, “frustation” …même pas vrai, c’est pour “sauvegarder le patrimoine video-ludique” !
C’est moche quand même la crise de la trentaine. Enfin, c’était soit ça soit sortir avec une minette de 18 piges.
C’est sûr que les termes “regret” et “frustration” sont un peu négatifs, mais ils sont aussi percutants. Ces deux facteurs qui révèlent le collectionneur me paraissent importants pour faire comprendre au public pourquoi le jeu vidéo devient un objet de collection de notre culture populaire.
Concernant la “sauvegarde du patrimoine vidéo-ludique”, je n’y crois pas.
Enfin, je veux dire que je ne crois pas que ce soit l’affaire de l’individu qui collectionne, mais plutôt celle d’associations, de musées, ou en tout cas de collectifs. A la limite, on peut parler de “sauvegarde du patrimoine” en tant que raison de collectionner pour ceux qui effectuent un travail de recensement, de numérisation ou de mise à disposition d’informations concernant leur collection. Ou alors il faudrait définir le terme patrimoine sur le plan personnel, sur le plan des souvenirs, c’est ce que j’appelle la “nostalgie” dans mon dossier.
PS : Collection et minette de 18 piges sont certainement conciliables, ne perds pas espoir 😛
Tout à fait d’accord avec toi.
Ma référence à la “sauvegarde du patrimoine vidéoludique” était évidemment une raillerie.
Et pourquoi pas collectionner les minettes de 18 piges?