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De sous-média nocif à Dixième Art, des salles d’arcade enfumées aux prestigieuses maisons de vente et aux musées d’art moderne, comment les jeux vidéo son devenus de véritables objets de collection ?

Pour analyser correctement le marché des jeux vidéo de collection, il faut prendre en compte un phénomène que tout le monde a remarqué et qui rythme le marché : la flambée des prix.

C’est à travers cette hausse générale des prix que je vais analyser le marché. Cela me permettra de dresser un rapide historique du marché de la collection de jeux vidéo et ses évolutions, mais également d’observer ses acteurs et ses canaux de distribution. Nous mettrons également en avant un phénomène qui, depuis quelques années, s’est généralisé : la confusion générale entre jeux rétro et jeux vidéo de collection.

Un rapide aperçu du marché et de ses évolutions par constructeur

Aux débuts des années 2000, il était possible d’acquérir d’énormes lots de jeux pour quelques centaines de francs (une cinquantaine d’euros -je précise pour les jeunes lecteurs). Je me rappelle avoir acheté une console Nes et une vingtaine de jeux dont une bonne moitié complets pour 50 francs (7,50€)

Puis, ebay est arrivé en France. Ebay est le domaine de chasse de prédilection des collectionneurs du monde entier, tous domaines confondus. Alors que pendant les premières années du site d’enchères en France, les jeux rétro ne valaient rien, la demande a augmenté de manière disproportionnelle à la diminution de l’offre, et les prix ont subitement grimpé.

Les premiers jeux à avoir connu une hausse des prix significative (en dehors des Game and Watch) sont les jeux Nintendo Nes, particulièrement certains titres qui étaient recherchés et peu disponibles. Ont suivi les jeux Super Nes, et plus récemment les jeux Game Boy et Nintendo 64. Nous remarquons d’ailleurs que c’est chez Nintendo que les phénomènes de l’augmentation des prix et de l’arrivée des collectionneurs, s’observent le plus radicalement. Ce n’est pas étonnant : Nintendo est la firme qui a toujours eu le plus de succès et de présence sur le marché. Les jeux et personnages de Nintendo accompagnent les joueurs et évoluent avec eux depuis les débuts. L’Histoire particulière de Nintendo rend la firme emblématique auprès de la plupart des “jeuxvidéophiles”.

Les jeux Atari, alors que la firme est elle aussi emblématique (et que les jeux sont également en boîte cartonnées), n’attirent pourtant pas les collectionneurs, en tout cas beaucoup moins que Nintendo. Quelques titres sont recherchés, mais leur cote reste faible, et on les trouve assez facilement en vente. Ce désintérêt s’explique certainement par le manque d’intérêt de nombreux jeux sortis sur ces consoles.

Les jeux Neo Geo ont toujours été cotés, ils valaient déjà le prix d’une console lors de leur commercialisation. La Neo Geo a d’ailleurs toujours été surnommée la Rolls Royce des consoles du fait ses qualités mais aussi peut-être de ses prix.  SNK disposait d’une communauté de fans adeptes de la firme, un peu plus âgés que la moyenne des joueurs de l’époque, et très tôt, des titres comme Metal Slug  s’échangeait déjà autour des 5000 francs (750€). Aujourd’hui, il est difficile de se procurer un Metal Slug AES en dessous de 3000€ et de nombreux titres Neo Geo sont très cotés et très recherchés.

Les jeux Sega Master System et Megadrive, n’ont pas connu le même engouement que les jeux Nintendo auprès des collectionneurs. Bien qu’aujourd’hui il y ait de plus en plus de collectionneurs Sega, et que certains titres soient très cotés, les collectionneurs SEGA sont moins nombreux que les collectionneurs Nintendo. Il y a deux raisons à cela : la première étant que Sega a disparu du marché des consoles et n’est aujourd’hui plus qu’un éditeur. La seconde étant que les boîtiers des jeux en plastique allonge considérablement la durée de vie de la boîte et de son contenu. Il est donc beaucoup plus simple de se procurer un jeu Megadrive ou Master System complet et en bon état, qu’un jeu Nes ou Super Nes dont la boîte en carton a subi les dommages du temps. Toutefois, SEGA est un gros acteur de l’Histoire des jeux vidéo, la firme a été présente sur plusieurs générations de consoles et a produit des perles qui font qu’il y a de plus de plus de collectionneurs SEGA. La firme occupe une place importante dans les collections multi-supports.

La marque NEC, moins connue, réunit pourtant de nombreux adeptes et mobilisent les collectionneurs multi-supports. En effet, la qualité des machines NEC ainsi que des titres produits sur ses consoles en font des jeux recherchés et très cotés pour certains. Les PC Engine Duo ou Turbo Graf-X par exemple se vendent très vite à des prix élevées, même lorsqu’elles sont sans boîte ni notice.

Les jeux sortis sur Micro-ordinateur (C64, Atari…) connaissent peu de succès auprès des collectionneurs, ils sont finalement assez peu recherchés et peu sujets à la spéculation malgré le fait qu’ils représentent un pan non négligeable de l’Histoire des jeux vidéo.

Les jeux PC des années 1990 (en grosse boîte en carton) sont restés pendant longtemps “invendables”. Aujourd’hui ils sont de plus en plus recherchés, et certains titres complets se négocient déjà à des prix relativement élevés. C’est le cas notamment des premiers point’n clic de  LucasArts comme Day of the Tentacle ; on peut d’ailleurs s’attendre à ce que ces derniers continuent de prendre de la valeur depuis que Disney a annoncé la fermeture du studio.

Les jeux PC plus récents, à part certaines éditions collector, ne sont absolument pas recherchés.

On note aussi des différences d’intérêt de la part des collectionneurs en fonction des zones. En effet, chaque console et chaque jeu sortait dans différentes versions et variations selon ses différentes zones de commercialisation. J’y reviendrai plus tard pour mettre en avant les subtilités du marché de la collection qui dépendent des versions (Nes ou Famicom), des formats (PAL ou NTSC)… Ici nous allons simplement noter l’évidence : la majorité des collectionneurs s’intéressent en priorité aux jeux sortis dans leur région.

La transformation du marché de la collection de jeux vidéo

Au départ, le collectionneur cherchait à retrouver une console fonctionnelle et les titres qu’il avait eu enfant pour y rejouer (il n’était qu’un “collectionneur nostalgique” comme nous en avons vu les caractéristiques). Puis le collectionneur recherchait les titres qu’il n’avait pas pu s’acheter à l’époque. Lorsque l’individu présentait les traits psychologiques du collectionneur, il recherchait les jeux complets, et dans le meilleur état possible, et cette recherche devenait même une activité quotidienne qui prenait de plus en plus de place en terme de budget.

Dans les années 2005, les collectionneurs étaient déjà nombreux sur ebay, à acheter et vendre des jeux pour compléter leurs collections. Peu à peu, les différents profils de collectionneurs que nous avons évoqués ont émergé et ont commencé à adopter des habitudes d’achats, à développer des connaissances particulières grâce à leurs recherches, à utiliser des codes de langage pour qualifier leurs objets et leur collection.

C’est ainsi qu’est né France Retrogaming, le premier site français qui a traité le jeu vidéo en tant qu’objet de collection, le premier site également à proposer des boîtiers de protection en plastique pour protéger les jeux en boîte cartonnée. Aujourd’hui, rares sont les collections ou en tout cas les belles pièces qui ne sont pas protégées par un boîtier.

Toujours dans cette démarche (de traiter le jeu vidéo en tant qu’objet de collection), France Retrogaming a été le premier à publier un barème pour décrire et noter la qualité de l’état d’un jeu vidéo en boîte cartonnée. Ce barème était accompagné d’un glossaire définissant les différents types de défaut et d’usure que l’on peut rencontrer sur les boîtes en carton de jeux vidéo.

(Au cours de ce dossier, je vais reprendre entièrement le barème et son glossaire.)

A partir du moment où le jeu vidéo a été traité comme objet collection sur internet, les prix ont très vite explosé car c’est dans ce contexte, où un titre pouvait se vendre plus de 100 euros du fait de son état, que le prix du titre augmentait sur le marché, quel que soit son état.

Les descriptions des annonces ebay ont soudain fleuri avec des termes du type “RARE, TBE, MINT“, des termes que l’on applique à des objets de collection, alors qu’à peine un an plus tôt, aucun (ou très peu) de jeux Nes complets étaient décrits de cette manière là.

Ces termes ont été utilisés à tort et travers dans le but de mieux vendre. Et peu à peu la tendance générale des prix des jeux complets a grimpé. Aujourd’hui, la moindre cartouche vendue sur internet est affublée de la mention “pour collectionneurs” et cela entraîne une énorme confusion entre jeux rétro et jeux de collection ; j’y reviendrai.

Peu à peu, de nouveaux sites et forums consacrés à la collection de jeux vidéo sont apparus, réunissant toujours plus de membres et de collectionneurs présentant leurs dernières acquisitions, leur collection, et entraînant ainsi une émulation collective dans la recherche et l’acquisition de belles pièces.

Ebay étant la meilleure source d’approvisionnement, les collectionneurs se rencontraient sur les enchères faisant ainsi monter les prix des titres peu courants ou des jeux en très bon état.

Si un jeu en bon état commençait à se vendre un peu plus cher qu’un jeu en état moyen, cela allait très vite être le cas des jeux neufs non déballés, ou des jeux neufs sous blister ou emballage d’origine, qui garantissait le “parfait état“.

Dans cette recherche du meilleur état possible, il y a eu l’engouement pour les jeux vidéo sous blister, et notamment les jeux vidéo Nintendo sous blisters rigides (appelé aussi coques en plastique dur).

Jeux sous blister et augmentation des prix

C’est bien à partir de 2008 que le marché a commencé à connaître des hausses significatives, et les premiers jeux rétro en France à avoir connu les plus fortes hausses sont les jeux Nintendo sous blister rigide. En 2007, de nombreux titres sous blister rigides mis aux enchères sur ebay restaient invendus. Des titres comme Prince of Persia sur Game Boy, Pilotwings ou F-Zero sur Super Nes, Faxanadu sur Nes, restaient invendus malgré un prix de départ à 30€. J’ai remporté aux enchères sur ebay Super Mario Bros 3 sous blister rigide pour 135€, et le Zelda Link’s Awakening sur Game boy en version classique pour 175€. Metroid sur Nes montait à 400€, Punch Out et Castlevania II sur Nes partaient à 250€ . Et déjà ces montants impressionnaient les collectionneurs et commençaient à créer le débat des prix.

Encore une fois ce sont les jeux Nes et Super Nes sous blister qui ont connu la plus forte hausse, le plus rapidement. En 2008 il était encore possible d’acheter de bons titres sous blister rigide pour moins de 150€. Quatre ans plus tard, ces mêmes titres se négocient entre 500 et 2000 euros sur les sites de vente, et parfois plus entre collectionneurs.

Les jeux Nes et Super Nes sous blister rigide sont l’objet d’une véritable fascination de la part des collectionneurs, et il existe une très forte spéculation qui continue d’attiser cette hausse.

Alors qu’aux Etats-Unis, la hausse du prix des jeux sous blister a été plus progressive et plus rationnelle, en France elle a été subite et démesurée. Tout d’abord parce que les meilleurs titres sous blister rigide sont très rares et que peu sont en circulation, mais aussi parce que soudainement, un petit nombre de collectionneurs se “battaient” sur ces titres lorsqu’ils apparaissaient aux enchères. Comme c’est souvent le cas dans les collections, c’est un petit nombre de collectionneurs qui s’affrontent et qui créent les cotes.

Un petit nombre de collectionneur… c’est très important et je dois vous parler de cela, au moins le temps d’un paragraphe. Dans tous les domaines de collection prisés, c’est un petit nombre de personnes qui déterminent le prix des pièces rares. A l’époque (2006) et depuis déjà quelques années, un collectionneur de jeux vidéo achetait la plupart des jeux Nes et Super Nes sous blister rigides qui passaient sur ebay. Pour être sûr de remporter les jeux qu’il voulait, il misait des sommes qui, si aujourd’hui auraient un sens, étaient à l’époque disproportionnées. Sur les gros titres qui apparaissaient peu, il était toujours présent, et gagnait toujours l’enchère. Ainsi, si une tierce personne voulait tenter sa chance sur une de ces pièces (ce qui a été mon cas) il fallait nécessairement miser une gros montant, un montant qui dépassait la valeur relative du jeu. Cela a été un des premiers éléments qui a été responsable de la hausse des prix. Si peu à peu quelques personnes allaient rivaliser avec ce “gros” collectionneur sur certaines enchères, cela ne serait qu’en misant des sommes supérieures à 1000 euros.

En 2011-2012, un nouveau collectionneur de jeux Nes et Super Nes sous blister rigide exclusivement allait arriver dans le milieu, une personne avec beaucoup plus de moyens financiers que la moyenne des collectionneurs de jeux vidéo. Une personne qui allait affronter ce collectionneur sur de nombreuses ventes ebay, et ainsi faire exploser le marché à coup de milliers d’euros sur certaines pièces. A son arrivée sur le marché, il achetait tous les jeux sous blister rigides, quel que soit le prix à payer. En plus d’acheter sur ebay, ce nouveau collectionneur allait contacter tous ceux qui avaient leur possession de beaux titres sous blister rigide, et leur proposer des sommes conséquentes pour leur racheter. Les tarifs proposés, et les prix auxquels ont été vendus certains titres, ont complètement explosé le prix des jeux sous blister.

Aujourd’hui, tous les jeux vidéo sous blister sont recherchés, et même les pires titres, même ceux dont on sait qu’il y en a beaucoup en circulation se vendent parfois plusieurs centaines d’euros.

Conséquence : il y a un amalgame sur les prix qui est fait par la majorité des acteurs du milieu : les jeux rétro sont pièces de collection.

Il est intéressant de voir que dés lors qu’un titre sous blister bat un nouveau record de vente sur un site publique, la cote du titre augmente soudainement. Et c’est bien là tout le problème de la surestimation des pièces : une confusion générale s’est installée entre le titre commun et disponible en grande quantité, et l’exemplaire du titre sous blister rigide ou en très bon état dont peu d’exemplaires connus sont en circulation. Si jusqu’en 2010, cette différence savait encore être faite, aujourd’hui avec l’arrivée d’autant de nouveaux collectionneurs, ça n’est plus le cas et alors qu’avant, le prix du titre revenait rapidement à sa valeur réelle (la valeur associée à sa disponibilité), désormais les prix ne font plus qu’augmenter de manière déraisonné sur des pièces complètement banales comme une cartouche de Super Metroid.

Si une poignée de collectionneurs ont joué un rôle important dans la hausse des prix, la configuration dans laquelle les pièces hors du commun ont été vendues, à savoir sur le site d’enchères ebay, a encore été un facteur amplificateur de cette soudaine hausse des prix.

Si c’est le comportement de la Demande qui a enflammé les prix, la composition de l’Offre a énormément contribué à alimenter le foyer de cette flambée.

Des canaux de distribution inflationnistes

Le principal canal d’approvisionnement du collectionneur de jeux vidéo, c’est Internet (ebay, leboncoin, priceminister, boutiques spécialisées en ligne…) les brocantes, et le réseau de contacts (forums, msn -désormais remplacé par facebook). Nous allons voir que sur chacun de ces canaux, l’Offre semble paramétrée pour continuer d’attiser cette hausse.

Le rôle d’ebay dans la hausse des prix des jeux rétro

Pourquoi ebay est-il responsable de la hausse des prix des jeux rétro ? Je dis bien ebay, et non pas les ebayers (utilisateurs d’ebay).

Ebay a énormément évolué ces dernières années. Encore récemment le plus grand site d’enchères a décidé de changer son logo, ainsi que son interface (progressivement), ebay s’oriente vers une plate-forme plus “sociale”. Ebay est en ligne depuis 1995, et le site commence effectivement à devenir vieillissant.

Si on analyse les changements que ebay a apporté à sa plate-forme, on se rend facilement compte que l’objectif est avant tout d’augmenter les profits (normal pour une firme multinationale me direz-vous). Il faut savoir que 98% des revenus de ebay proviennent des commissions appliquées aux ventes. Pour augmenter les commissions perçues, le mieux est encore que les prix de vente augmentent.

Alors comment ebay s’y prend-il pour que les prix augmentent ?

Il faut tout d’abord observer que le principe de l’enchère (ou de la surenchère) est un procédé qui permet régulièrement à des objets de se vendre plus chers que le prix qu’ils valent car il y a un aspect compétitif en même temps que ludique qui entraîne les acheteurs à dépenser “plus que prévu”, à dépenser le maximum qu’ils sont prêts à mettre. Peu à peu, les prix augmentent, car lorsqu’un objet est remporté aux enchères pour un montant de 100 euros  par exemple, tous les enchérisseurs perdants intègrent pour la prochaine fois qu’il faudra miser plus de 100 euros pour avoir une chance de remporter l’objet.

Bien que désormais, il y ait plus d’objets disponibles au format “achat immédiat” qu’au format “enchères”, bien souvent le prix d’achat immédiat d’un objet est fixé en fonction de l’enchère finale pour le même objet. Ainsi, le prix d’achat immédiat se calque sur le montant maximal qu’est prêt à mettre l’acheteur.

Dans ce processus, il faut mettre en avant une autre fonctionnalité du site qui contribue à consolider cette machine inflationniste : les ventes terminées. Ebay permet de consulter les ventes terminées sur le site, qu’elles aient été vendues ou invendues. Cela permet aux vendeurs de se faire une idée du prix auquel se vend un objet, et aux acheteurs de “savoir” combien vaut un objet. Quoi qu’on en dise, les ventes terminées d’ebay constituent le plus grand argus de tous les temps, tous domaines confondus.

En fonction de ces listes de ventes terminées, les vendeurs en ligne, mais aussi les brocanteurs, les vendeurs professionnels, et les boutiques physiques qui vendent des jeux vidéo d’occasion, définissent leurs prix.

Rappelez vous : il y a encore quelques années, il fallait être membre ebay pour consulter la liste des ventes terminées. Désormais, ça n’est plus le cas et tout internaute peut consulter ces ventes terminées, et fixer ses prix en fonction, que ce soit pour vendre sur ebay ou ailleurs.

Dans le milieu des collections, et particulièrement dans celui des jeux vidéo rétro, cela provoque une véritable explosion des prix.

Pourquoi ?

Tout simplement parce que le vendeur ne fait pas (ou ne veut pas faire) de différence entre son exemplaire du jeu et celui qui s’est vendu le plus cher sur le site.

Prenons l’exemple d’un Super Mario Kart (SMK) sur Super Nintendo. Il y a quelques temps (fin 2010), un SMK neuf sous blister rigide s’est vendu pour 1510 euros aux enchères sur ebay. Les conséquences de cette vente ont été que très rapidement après, il est devenu très difficile de se procurer un SMK à prix correct, que ce soit pour un exemplaire complet (boîte et notice présente) ou en loose (cartouche seule).

En effet, tous ceux qui retrouvaient un SMK dans leur grenier et qui décidaient de le vendre (sur internet ou en brocante) consultaient cette fameuse liste des ventes terminées. Et en voyant qu’un Super Mario Kart s’était vendu pour une telle somme, ceux qui possédaient une cartouche de SMK pensaient avoir de l’or entre les mains. C’est ainsi qu’on pouvait du jour au lendemain, voir des cartouches de SMK en vente en achat immédiat pour 99€, alors que la veille le jeu se trouvait encore pour à peine 12€ en achat immédiat, et restait parfois invendu. Heureusement sur ce type de jeu, le nombre d’exemplaires en circulation est si important que très vite les prix reviennent à la normale, toutefois, ils ne redescendent pas toujours à leur niveau d’origine. Aujourd’hui, une cartouche seule de SMK à 10€ est devenue une “affaire”. Mais sur des jeux plus difficiles à trouver, cela provoque par contre des hausses durables. Nous pouvons l’observer sur des jeux comme Secret of Mana par exemple.

Conséquences sur les prix des jeux vidéo en brocante

Si ebay est certainement le canal le plus important sur lequel le collectionneur se fournit, ce dernier achète aussi beaucoup en brocante. Mais depuis quelques années, il est de plus en plus difficile de trouver de belles pièces en brocante, et ce pour plusieurs raisons :

      • les belles pièces sont devenues rares,
      • désormais, les prix élevés auxquels se négocient les jeux attirent de nombreux revendeurs qui écument les brocantes en rachetant tout ce qui est vieux jeux dés 5 heure du matin.
      • Enfin les professionnels et particuliers qui participent aux brocantes vérifient sur ebay au préalable, à quels prix se négocient les objets qu’ils vont mettre en vente.

Pour bien expliquer ce dernier point, voici une petite anecdote qui m’est arrivée il y a quelques années : j’avais récupéré dans un lot (que j’avais acheté uniquement pour un “The Adventure of LINK” classic série version française) un très bel exemplaire du jeu Nes “Les Chevaliers du Zodiaque : La Légende d’or”, complet et en très bon état.

Je m’en sépare (ainsi que le reste du lot) en le mettant aux enchères sur ebay, et la vente se termine aux alentours de 80 euros.

Le dimanche suivant la fin de cette vente, je pars au matin pour faire une brocante, et au détour d’un stand, je trouve une cartouche Nes du titre que je venais de vendre sur ebay (“Les Chevaliers dui Zodiaque : La Légende d’or”, donc). La cartouche était sale, l’étiquette était déchirée, mais, même si ce jeu est une vraie bouse, c’est devenu bien trop rare de trouver une cartouche Nes en brocante pour ne pas (au moins) demander le prix.

Je demande donc le prix au vendeur qui me répond alors 50 euros. A ce moment là je ne peux pas m’empêcher de sourire en reposant la cartouche. Le vendeur ajoute que ce jeu se vend 80€ sur ebay. Je comprends alors que le vendeur s’est basé sur ma vente pour fixer le prix de sa cartouche. Mais si j’avais vendu mon exemplaire à ce prix là, c’est avant tout parce qu’il était complet et dans un état proche du neuf. Il est important de préciser pour que cette anecdote prenne sens ici, que la cartouche seule sur ebay se vendait entre 8 et 10 euros à l’époque. Et soudain, dans une brocante, alors que j’attendais qu’on m’annonce un ou deux euros pour le prix du jeu, on m’annonçait : “50 euros ! Et c’est pas cher, sur ebay ça vaut 80 !

J’aurais bien d’autres anecdotes comme celle-ci pour illustrer le schéma que suit l’explosion des prix des jeux vidéo rétro, mais celui-ci est assez parlant.

L’effet Leboncoin

Nous avons parlé d’ebay et des brocantes, il faut aussi parler du site Leboncoin.fr qui est devenu en quelques années un des sites les plus consultés par les Français, et par les collectionneurs. Sur Leboncoin, les annonces des particuliers sont surréalistes. De nombreux lots sont vendus (ou en tout cas à vendre) pour trois voire quatre fois le prix de ce qu’ils valent. Le fonctionnement est un peu le même que sur ebay : avant de mettre en vente son objet, le vendeur regarde à combien il est proposé dans sa région, et se calque sur la fourchette la plus élevée. En recherchant, par exemple le prix de sa vieille console et des quelques jeux qui l’accompagnent, il va trouver des annonces qui proposent un seul des jeux de son lot pour 60€ avec la mention “très rare, pour collectionneur”. Tout de suite, il va penser que son lot est recherché et va l’afficher un prix élevé.

Peu à peu, ce mécanisme se reproduisant sur différents titres et sur différents sites, un effet boule de neige s’est produit et a touché tout le marché des jeux vidéo rétro. Puisque tout le monde reproduit ce processus de recherche avant mise en vente, il n’existe plus d’annonces à prix raisonnables. Pour toute une population de nouveaux arrivants dans le milieu de la collection et qui représente désormais la majorité des collectionneurs, il est donc admis et entendu que ces prix sont bien les prix du marché.

Ce que je veux essayer de faire comprendre, c’est que deux branches distinctes du marché ont fusionné car certains ne savaient pas les différencier : le marché des jeux rétro et celui des jeux de collection. Les jeux rétro, même rares et en boîte et notice ne valent pas pour la plupart les prix qu’ils se vendent en ce moment.

Les vendeurs professionnels

Si un marché a émergé, si les prix ont augmenté, des professionnels sont apparus. Il est important de mettre en relief le rôle de ces derniers sur le marché de la collection, car ils constituent le ciment de cette confusion entre jeu rétro et jeu de collection. Ils sont apparus dés que certains jeux ont commencé à se vendre à certains prix. Ils s’adressent aux collectionneurs car ce sont eux qui achètent les jeux aux prix qui leur ont fait croire à un marché potentiel. Mais les pièces chères étant par définition rares, il leur a fallu marger sur un autre type de jeux, ceux qu’on trouve facilement : les cartouches, les jeux en boîte.

La conséquence directe est que malgré le fait que le vendeur professionnel “vend des jeux de collection“, le collectionneur n’achète presque jamais dans une boutique en ligne tout simplement parce qu’il n’y trouve pas le type de pièces qu’il cherche. Et quand bien même le vendeur professionnel vend une pièce intéressante pour le collectionneur, il la vend à un prix supérieur au prix auquel le collectionneur pourrait l’acquérir via son réseau si il décidait d’y mettre le prix.

Les vendeurs professionnels ont “mauvaise réputation” sur le marché, car le collectionneur a donc l’impression que le vendeur “profite” de lui et de sa passion.  Mais il faut comprendre que le vendeur professionnel a simplement beaucoup de mal à trouver de belles pièces, et bien souvent il les paye chères. Et si dans son catalogue, il a peu de belles pièces de collection, elles vont jouer un rôle de vitrine pour justifier la cible à laquelle le vendeur veut s’adresser. On le voit sur ebay par exemple avec certaines pièces à des prix vraiment élevés en achat immédiat, qui restent des années en vente et qui jouent simplement le rôle d’une porte d’entrée avec écriteau “collectionneurs de jeux, entrez dans ma boutique“, sauf que le reste du catalogue n’est constitué pour la plupart que des jeux rétro qu’on trouve partout ailleurs. Quelque part donc, le collectionneur s’est senti abusé, et le joueur aussi (lui, veut simplement le jeu pour y jouer et il doit payer le “prix collection” au lieu du “prix d’occasion”). C’est dans ce schéma où de plus en plus de vendeurs professionnels s’adressent à des collectionneurs alors qu’ils vendent des jeux tirés à des millions d’exemplaires (et destinés aux joueurs), que le marché des jeux vidéo de collection et des jeux rétro a fusionné.

Pour tous ces jeux (les jeux rétro dont on ne compte pas le nombre d’exemplaires en circulation), une cote plus stable va bientôt se mettre en place, car il faut être conscient d’une chose : la véritable pièce de collection n’est  pas le jeu complet (ou alors à de rares exceptions), c’est l’élément en bon état. Le véritable marché de la collection se révélera dans la condition de l’objet. Or sur ce point aussi, il y a actuellement une énorme confusion, je dirais que 90 à 95% des jeux décrits comme étant en très bon état ne le sont pas, pourtant ils sont très peu à le remarquer, et le jeu complet en état moyen avoisine de près le prix qu’atteint l’exemplaire en très bon état. Si le  jeu en état moyen va se stabiliser, en revanche le jeu en très bon état va bientôt entrer dans d’autres sphères, celles des maisons de vente. En effet, si un exemplaire de Super Mario Kart, qui est un titre on ne peut plus commun et simple à trouver, se vend 1500 euros sous blister rigide, alors quel sera le prix à mettre le jour où sortirait le premier Super Mario Bros  neuf aux enchères ? Et quel sera le prix à mettre pour un titre très difficile à trouver, même en cartouche seule, si il était proposé aux enchères sous blister rigide ?

Je vais arrêter l’analyse ici, car je pense que nous avons parlé de l’essentiel, même s’il y aurait encore beaucoup à dire. Le principal était de mettre en avant la multitude d’acteurs et de phénomènes qui font tourner ce cercle vicieux de l’augmentation des prix, et de mettre en avant que si certains jeux sont destinés à devenir à de véritables pièces de collection qui se négocient à des prix élevés, ce n’est pas le cas de tous les jeux. Ce n’est pas parce qu’un album de “Tintin au pays des Soviets” s’est vendu 20 000 euros, que tous les albums de “Tintin au pays des Soviets” valent ce prix là.

Il convient donc de s’armer de certaines notions pour mieux appréhender le marché de la collection de jeux vidéo. Au cours des prochains articles, nous aborderons donc un problème essentiel : l’estimation une pièce à sa juste valeur, en fonction du marché (c’est à dire en fonction du prix que serait prêt à mettre la demande car même si le marché est faussé à différents niveaux, cela a tout de même son importance), mais surtout en fonction de critères plus rationnels et qui sont liés directement à la rareté du titre, de sa version, et à la qualité de la condition de l’exemplaire. Pour cela nous allons observer les différentes méthodes de recherche, définir de nombreux termes, revoir et compléter le barème France Retrogaming. J’en profiterai aussi pour approfondir certaines notions que nous avons abordées au cours des différents articles qui composent ce dossier.

Pour aller plus loin

Cet article a servi à l’écriture du livre « Retrogaming : Comment les jeux vidéo sont devenus des objets de collection ».

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